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La mémoire est-elle une bonne chose?







Cette question peut sembler triviale au premier abord. Mais en réalité, s'il est vrai que la mémoire est essentielle a l'homme, il existe des cas où l'oubli est plus que souhaitable. L'objectif de ce post est de discriminer les différents cas.


OUI, la mémoire est une bonne chose



Car elle permet la construction de l'identité d'un individu


L'homme intègre les leçons de l'expérience tout au long de sa vie en apprenant, en agissant (c'est en forgeant qu'on devient forgeron) et se constitue progressivement en tant qu'homme. Cette accumulation de connaissances n'est possible que grâce à la mémoire.


Ainsi une identité se construit grâce à la somme des souvenirs (actes, sensations, pensées, ...). Et même si le corps d'un individu se transforme et vieillit, son identité demeure grâce à la mémoire.


La mémoire est la condition de notre existence dans le temps. Le passé se concentre dans le présent. Un individu est une histoire et la mémoire est la condition pour qu'il puisse être au monde.


  • BERGSON: "Le présent est mémoire et anticipation"

  • LOCKE: "La mémoire est le magasin de nos idées"

  • LOCKE: "L'esprit n'est alimenté en idées que par le biais de l'expérience"

  • ANTUNES: "L'imagination c'est de la mémoire fermentée"

  • BIZOZ: "La mémoire est la précieuse servante de l'intelligence"



Car elle permet la construction de l'identité d'une nation


De la même façon, au niveau d'une nation ou plus largement au niveau de toute communauté humaine, un passé commun permet de construire progressivement une culture qui cimente les différents individus entre eux. Les connaissances, moeurs, comportements sont intégrés dans la mémoire du groupe et permettent de faire société ou communauté.


  • CIORAN: "Exister, c'est fabriquer du passé"

  • FOCH: "Parce qu'un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir"



Car elle est la condition de la liberté


Où se trouverait la liberté d'un individu qui ne réaliserait des choix qu'en fonction du hasard? Prenons l'exemple d'un lycéen qui sélectionnerait au doigt mouillé ses futures études au travers de Parcoursup. Voilà un choix essentiel qui nécessite une connaissance de soi approfondie, de son caractère, de ses goûts, ... produits de toutes les expériences passées.

Un acte libre exprime profondément ce que nous sommes. Il est l'aboutissement de la maturation de tout un itinéraire.

Où se trouve la liberté de celui qui ne se connaît pas lui même, qui ne sait rien de ce qu'il est. Au contraire la connaissance du monde au travers de sa mémoire informe son agir.

De la même façon c'est dans la mémoire collective que se trouve la liberté pour un peuple.


  • DESCARTES: "Je nomme généralement libre tout ce qui est volontaire"

  • ROUSSEAU: "Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme"



Car elle évite de refaire les mêmes erreurs


C'est celui qui oublie qui reproduit les mêmes erreurs.

Tirons du passé, au travers de la mémoire, une expérience individuelle ou collective dont on retirera des enseignements, un peu comme on écoute la morale d'une fable.


  • CHURCHILL: "Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre"

  • ANONYME: "Qui s’est brûlé la langue n’oublie plus de souffler sur sa soupe"

  • BYRON: "Le meilleur des prophètes, c'est encore le passé"



Car elle est nécessaire au pardon et permet donc le vivre ensemble


Ce sujet fera probablement l'objet d'un post spécifique. Mais disons en résumé:


La condition du pardon c'est la mémoire. En effet, lorsqu'on pardonne, on ne fait pas comme si l'histoire n'était pas arrivée. En pardonnant on fait mémoire du mal subi pour pouvoir le dépasser.


  • RICOEUR: "Le pardon donne un futur à la mémoire"

  • FERGHANI: "L'oubli n'efface pas les péchés"


Car elle permet de reconnaître la vérité


Voici l'occasion d'évoquer une célèbre théorie de Platon, exposée en particulier dans le Ménon (l'un des recueils de dialogues de Socrate), qui ne convaincra peut-être pas tout le monde. Mais les Chrétiens retrouveront dans cette théorie plusieurs fondamentaux de leur religion.


Platon, l'idéaliste, affirme l'existence d'un monde parallèle des idées dans lequel nos esprits (âmes) évoluaient avant d'être incarnés dans nos corps sur terre. Dans ce monde parallèle nos esprits avaient une connaissance totale (Il n'est rien que l'âme n'ait appris) .


Or, selon Platon, nos âmes sont immortelles. Mais, lorsqu'elles sont enfermées dans nos corps pendant notre vie sur terre, nos âmes oublient cette connaissance. Cependant, par un certain travail, la réminiscence de cette connaissance est possible.


Pour illustrer cela, Platon évoque le célèbre épisode de l'esclave. Socrate montre un carré à un esclave illettré et lui demande de générer un carré deux fois plus grand. L'homme n'a jamais été éduqué, en particulier dans le domaine des mathématiques. S'ensuit une série de questions de Socrate et de réponses de l'esclave. Ce dernier se trompe, mais il finit par utiliser la diagonale pour résoudre le problème. S'il parvient tout seul à mobiliser cette connaissance, c'est qu'il se re-souvient de ce qu'il connaissait déjà. Conclusion: dans une autre vie, affranchie de la matière, nous savions tout.


  • PLATON: "Toute connaissance est une réminiscence"

  • ARISTOTE: "Savoir c'est se souvenir"


Car elle permet de lutter contre le temps qui passe et contre la mort


Certes, lorsqu'un homme meurt, sa mémoire s'éteint. Mais cet homme laissera probablement des traces dans la mémoire collective de proximité ou à une plus grande échelle: un acte, une invention, une oeuvre artistique ou artisanale, des souvenirs au moins chez ses proches ,.... Les historiens jouent un rôle particulier puisqu'ils se chargent d'écrire ou d'exhumer cette mémoire collective qui s'enrichit progressivement. Prenons le cas d'Hérodote, témoin de son époque et que Cicéron surnomma le "père de l'histoire", qui disait lui-même écrire "afin que le temps n'abolisse pas les actions des hommes". Au final un homme qui meurt ne meurt plus tout à fait. A noter au passage qu'il existe, selon Hegel, plusieurs types d'histoires:

  • L'histoire "originale", celle des auteurs antiques, relève du témoignage.

  • L'histoire "réfléchie" amène son auteur à opérer un retour sur le passé (il peut être critique).

  • L'histoire "philosophique" enfin montre, à travers l'étude de la dialectique, comment l'esprit se matérialise dans le monde.


  • LACORDAIRE: "L'histoire est la mémoire du monde"

  • GRANDBOIS: "Tout passe, hormis ce que les hommes ont sauvé de l'oubli par le marbre ou le parchemin"

  • ANONYME: "La mémoire se perd; mais l'écriture demeure"



NON, la mémoire n'est pas une bonne chose



Si elle entrave l'action


Si nous devions nous souvenir en permanence de tout ce que nous avons mal fait (mauvaise conscience), pas osé faire (regrets), subi (humiliation, déception, injustice, deuil), nous serions enfermés dans un état de rumination continuel et nous ne pourrions plus agir dans le présent. Le calcul, à chaque instant, de tous les paramètres en jeu dans l'action en fonction des expériences passées entraînerait la paralysie.


Or la capacité d'agir est une des conditions du bonheur.


La mémoire, en nous plaçant dans l'incapacité de nous libérer de notre passé, peut donc nous empêcher d'être heureux.


La vraie vie passe donc par l'oubli de souvenirs lorsque ceux-ci deviennent un problème. Nous avons besoin de nous libérer de ce que nous avons avalé.


On peut peut-être oser l'assertion suivante: les enfants et les animaux sont heureux car ils ne se souviennent de rien, ils vivent et agissent donc dans le pur présent.

  • NIETZSCHE: "Il est possible de vivre sans se souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l'animal, mais il est impossible de vivre sans oublier"

  • NIETZSCHE: "Tout acte exige l'oubli"

  • NIETZSCHE: "Si tu veux être chez toi dans les hauteurs : Jette dans la mer ton plus lourd fardeau ! Voici la mer, jette-toi dans la mer ! Divin est l'art d'oublier !

  • Ingrid BERGMAN: "Le bonheur, c'est avoir une bonne santé et une mauvaise mémoire"

  • SIMARD: "On oublie vite les morts. On oublie très vite, aussi, les circonstances où l'on a été malheureux ... Il ne faut pas s'en scandaliser: s'il en était autrement, la vie serait un cauchemar"

  • CHAPELAN: "L'homme est parfois assez fou pour préférer le chagrin à l'oubli"

  • APOLINAIRE: "Regrets sur quoi l'enfer se fonde"

  • DOSTOÏEVSKI: "La seconde moitié de la vie humaine n'est faite d'ordinaire que des habitudes contractées pendant la première"

Si elle devient pathologique


Traumatisme

Une personne confrontée à un événement beaucoup trop fort à surmonter (une agression, un viol, un attentat, ...) peut en être traumatisée. Dans ce cas, l'émotion extrême perturbe la mémoire. L'oubli qui permettrait de maintenir l'ordre psychique, n'est plus possible.


Hypermnésie

L'hypermnésie, développement excessif de la mémoire, accompagne souvent l'autisme. Le moindre détail demeure à l'esprit, rendant souvent la hiérarchisation et la synthèse de l'information très difficile.

  • VERON: "Oubli: une éponge qu'on ne trouve jamais quand on en a besoin"

  • VIAN: "On n'oublie rien de ce qu'on veut oublier: c'est le reste qu'on oublie"


Si elle empêche le vivre ensemble


Comment les peuples européens pourraient-ils vivre ensemble si le souvenir des multiples guerres du passé restait constamment présent à l'esprit.

De la même façon comment les protestants et les catholiques pourraient-ils faire société si les anciennes guerres de religion n'étaient pas mises au second plan?

D'innombrables exemples similaires pourraient être cités.

Aucun vivre ensemble ne serait possible si toutes les rancunes et ressentiments restaient présents et si aucun pardon n'avait lieu.


La condition pour la paix c'est le pardon, et parfois l'oubli pur et simple. Un autre post sera écrit pour justement comparer pardon, excuses et oubli et évoquer les notions de prescription, réconciliation, ...


  • FERGHANI: L'oubli n'efface pas les péchés"

  • GHANDI: "Oeil pour oeil et le monde finira aveugle"


Si elle est utilisée pour renier sa responsabilité


Dans les tribunaux les avocats invoquent souvent la lourdeur du passé de leurs clients pour obtenir la clémence des jurés. Ceci fait sens pour certains mais ce n'est pas le cas pour les existentialistes, tels que Sartre, pour lesquels la liberté de l'homme est absolue. Par conséquent, quel que soit le poids de ses origines, l'homme a toujours la liberté de choisir, et d'aller vers le bien plutôt que vers le mal. Pour Sartre s'appuyer sur l'histoire pour se justifier c'est être un "salaud". Utiliser son passé pour justifier ses faiblesses s'appelle de "la mauvaise foi".


Le poids du passé n'implique pas la négation de la liberté.


L'homme n'est pas que le produit de son milieu. C'est aussi un être libre qui, par ses actes, peut dépasser le carcan social dans lequel il a grandi ou évolué jusque là.

  • SARTRE: "L'homme que se croit déterminé se masque sa responsabilité"


Si elle est aménagée en fonctions d'intérêts particuliers


Toute personne qui tente de revenir et interpréter le passé est sujette à sa propre subjectivité ou aux pressions internes ou externes pour faire dire à ce passé ce qu'on souhaite lui faire dire.

Le but recherché, les méthodes employées, sont intimement liées à l'époque dans laquelle vit cette personne.

Nos livres d'histoire en particulier sont un assemblage de récits construits.

A l'extrême, la propagande politique utilisée par beaucoup de pays est loin d'être neutre, objective et factuelle.

  • DECAUX: "L'objectivité de l'historien n'existe pas"

  • BONAPARTE: "L'histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d'accord"

  • ORWELL: "L'histoire est écrite par les vainqueurs"

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