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Par quoi sommes-nous déterminés?







Introduction


Existe-t-il des hommes adeptes du fatalisme et qui pensent par conséquent que nous sommes tous le jouet, la marionnette, d’une puissance supérieure qui a écrit nos vies à l’avance dans ses moindres détails ? La réponse est oui, même si les partisans de cette doctrine ne sont probablement plus très nombreux. Certains philosophes, surtout dans l’antiquité, ont défendu cette position. Ainsi :

  • CICERON écrivait: "Si ton destin est de guérir de cette maladie, tu guériras que tu aies appelé ou non le médecin ; de même, si ton destin est de ne pas en guérir, tu ne guériras pas. Or ton destin est l’un ou l’autre ; il ne convient donc pas d’appeler le médecin"

  • SOPHOCLE, dans sa célèbre tragédie Œdipe Roi, s’employa à montrer qu’il est impossible de lutter contre sa destinée. Cette œuvre met en scène Laïos, roi de Thèbes, qui apprit par l’Oracle de Delphes que son nouveau-né Œdipe allait commettre dans son existence un parricide et un inceste. Laïos, horrifié et apeuré, décida d’abandonner son fils sur une montagne, les pieds mutilés, persuadé qu’il n’avait aucune chance de survivre. Or l’enfant fut recueilli grâce à la complicité d’un serviteur de Laïos et élevé par le roi de Corinthe. Plus tard Œdipe, à son tour informé par l’oracle de son destin tragique, décida de quitter Corinthe, dans l’espoir de rendre le scénario de sa destinée impossible en s’éloignant de ceux qu’il croit être ses parents. Mais en chemin il tomba sur un équipage lui refusant la priorité de passage et il en tua le chef (qui n’était autre que son vrai père Laïos). Puis il tua le Sphinx qui semait la terreur à Thèbes et, en guise de récompense, obtint la main de la reine de la ville qui n’était autre que sa propre mère ! la destinée d’Œdipe était ainsi accomplie malgré de multiples tentatives pour qu’il en soit autrement.

Les défenseurs d’un fatalisme absolu sont aujourd’hui beaucoup moins nombreux que dans l’antiquité. Néanmoins on peut trouver des adeptes d’un fatalisme, au moins partiel, dans les religions. Le Coran, par exemple, défend l’idée que l’heure de la mort de chaque être humain est fixée à l’avance et ne dépend en aucune façon des actions des hommes sur cette terre. Chez les chrétiens le fatalisme s’avère moins radical mais il n’en reste pas moins que la plupart des croyants pensent pouvoir solliciter des interventions divines et trouver auprès du Seigneur, Dieu d’amour, de l’aide pour affronter les épreuves. Ils expriment leurs souhaits au travers des prières.


En quoi le déterminisme est-il différent du fatalisme ? Dans le déterminisme point de puissance supérieure, maîtresse du destin des hommes. En revanche le déterminisme défend l’idée que tout évènement dépend de causes antérieures et que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

  • LEIBNIZ: "Rien n’est sans raison (principe de raison suffisante) "

Ceci implique qu’il existe une logique derrière tout évènement et que la raison permet, dans des cas relativement simples, de prédire un évènement si certaines conditions sont satisfaites. Par exemple on peut anticiper qu’un billet de cinquante euros posé en évidence sur une table dans un hall de gare disparaitra en quelques minutes. En revanche qui peut prédire que ce monsieur qui entre dans l’isoloir en ce jour d’élection va voter pour Marine Le Pen plutôt que pour Emmanuel Macron. La chaîne des causes qui vont pousser l’électeur d’un côté ou de l’autre sont si complexes (milieu économique et familial, éducation, pression sociale, expériences de vie, …) qu’il est impossible de réaliser une prédiction. Il faut d’ailleurs remarquer que ce monsieur ne sait probablement pas lui-même pourquoi il va réaliser le choix qu’il s’apprête à faire. Tout dépend d’une infinité de causes, d’expériences passées, dont la plupart sont ancrées dans son inconscient.


L’objectif de ce post est d’introduire les principaux déterminismes qui affectent l’être humain. En revanche la question de savoir si l’homme peut être considéré libre, malgré les déterminismes qui l’affectent, fera l’objet d’un autre post intitulé « Sommes-nous auteurs de nos vies ? »


Les principaux déterminismes:


La nature:

Nous naissons avec une identité biologique spécifique. Nous sommes homme ou femme, plus ou moins beau, plus ou moins robuste, plus ou moins intelligent, peut-être frappé de handicaps, … Notre capital génétique nous rend même prédisposé ou non à développer certaines maladies (les chances d’être les victimes de tel ou tel cancer, du diabète, … augmentent ou diminuent en fonction de notre ADN) .

A cela s’ajoute le fait que l’homme semble être l’objet de la volonté de la nature. Il est animé de désirs dont il ne peut se départir, de pulsions parfois irrépressibles. Le sentiment amoureux est tout à fait caractéristique de cet état de fait. Il semble se développer en dehors de toute raison logique. Schopenhauer explique ce phénomène par le fait que l’homme est dès sa naissance animé d’un vouloir-vivre qui le pousse vers un être complémentaire avec lequel il va procréer pour perpétuer l’espèce humaine. Tout ceci n’est pas très romantique mais il faut bien admettre que cet instinct est bien présent en chacun de nous. Nous sommes programmés par la nature.

  • SCHOPENHAUER: "L’amour est un industriel qui ne veut que produire. Il n’a qu’une pensée, pensée positive et sans poésie, c’est la durée du genre humain "

  • SCHOPENHAUER: "Le sexe et la procréation ne sont qu’une dictature de l’espèce "

  • SPINOZA: "Les hommes sont conduits plutôt par le désir aveugle que par la raison "

  • PLATON: "Chacun cherche sa moitié "

L’instinct de conservation est une autre manifestation de ce vouloir-vivre évoqué par Schopenhauer (équivalent à la volonté de puissance chez Nietzsche). Il fait également partie de cet héritage naturel des hommes et plus globalement de tous les êtres vivants. Cette force qui pousse à la préservation de la vie nous permet en particulier de réagir à un danger immédiat de manière reptilienne, sans intervention de la raison.


La société


On choisit pas ses parents,

On choisit pas sa famille

On choisit pas non plus

Les trottoirs de Manille

De Paris ou d’Alger

Pour apprendre à marcher

Être né quelque part

Pour celui qui est né

C’est toujours un hasard ?


Cette chanson de Maxime Le Forestier rappelle que chacun de nous est jeté sur cette terre au sein d’une société déjà constituée et hérite donc, de façon tout à fait aléatoire, d’un environnement culturel, politique et économique.

  • ARISTOTE: "La cité est par nature antérieure à la famille et à chacun de nous individuellement "

Nous évoluons alors sous l’influence d’une religion, d’un type d’éducation, de valeurs morales, de lois terrestres, de comportements sociaux, de coutumes et traditions, de modes, de conditions de richesse, … L’identité psychique de l’homme se construit sous l’influence de multiples facteurs communs si bien que nous reproduisons des comportements standardisés et des stéréotypes. Les manières d’agir et de penser sont construites au sein de la société et, à un niveau plus fin, au niveau de chaque communauté, groupe humain, famille, … et s’imposent à l’individu. A tel point que nous en devenons prévisibles. L’étude de nos comportements fait d’ailleurs l’objet de la sociologie, science pour laquelle l’homme est un objet scientifique, au moins statistique.


Quelques exemples : il existe une grande probabilité que nous sélectionnions notre conjoint dans le même milieu social que le nôtre, que des parents éduqués aient des enfants qui réussissent mieux que ceux issus de milieux populaires, que les mêmes opinions politiques soient partagées par tous les membres d’une même famille, qu’une grande partie des salariés d’une entreprise donnée privilégient les mêmes valeurs et comportements.

  • FINKIELKRAUT: "La culture : l'esprit du peuple auquel j'appartiens et qui imprègne à la fois ma pensée la plus haute et les gestes les plus simples de mon existence quotidienne "

Il existe de nombreux cas où l’état, l’entreprise, la communauté, la famille imposent les règles à adopter de manière coercitive.

  • Le non-paiement des impôts, la non-application de la loi, … entraînent des sanctions de la part de l’état. Dans les régimes totalitaires le champ de la répression s’étend aux délits d’opinion.

  • Dans l’entreprise, le non-respect des règles éthiques édictées, des conditions contractuelles ou le défaut de productivité, peuvent avoir pour conséquence la mise à pied ou le licenciement ou plus fréquemment une sanction financière.

  • L’appartenance à une communauté, politique ou ethnique par exemple, impose l’adoption de comportements particuliers sous peine de rejet, voire d’exclusion, par les autres membres. Un exemple pioché dans l'actualité de ce jour: le numéro deux du PR, Aurélien Pradié, vient d'être démis de ses fonction pour avoir exprimé son désaccord avec la ligne du parti sur le sujet des retraites.

  • Enfin, dernier exemple, il est évident qu’au sein d’une famille, une partie relativement importante des règles et des valeurs transmises sont imposées au travers de la menace ou de l’exécution de la punition.

Mais, au-delà de ces cas d’emploi de la sanction si l’individu ne se conforme pas aux normes, il apparaît qu’une très large part de nos comportements sont intégrés de manière progressive, inconsciente et non violente. Si bien que nous nous mettons à appliquer les mêmes règles, interdictions et obligations sans même nous en rendre compte. L’espace est plus saturé de prescriptions que d’interdictions. Nous nous conformons aux mêmes valeurs, nous nous habillons de façon identique pour ne pas risquer les moqueries, nous utilisons des codes sociaux appris dès l’enfance, nous achetons les produits que nous voyons sans cesse dans les publicités, nous mangeons cinq fruits ou légumes par jour, … La pression collective, les automatismes, les habitudes sont aux commandes en avançant masqués.

  • FREUD: "Le moi n’est pas maître dans sa propre maison "

  • DURKHEIM: "Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, c’est au contraire leur être social qui détermine leur conscience "

Tant mieux dans un sens puisque cela conduit à assurer la cohésion sociale, la pacification des relations entre individus ou encore la construction d’une force collective homogène, gage d’efficacité.

  • ROUSSEAU: "Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre, ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède "

  • PLATON: "Il y a naissance de société du fait que chacun de nous, loin de se suffire à lui-même, a au contraire besoin d'un grand nombre de gens "

  • SCHOPENHAUER: "L'être humain est, au fond, un animal sauvage et effroyable. Nous le connaissons seulement dompté et apprivoisé par ce que nous appelons la civilisation "

Mais cela a un prix : celui de l’acceptation d’une soumission volontaire aux standards sociaux et communautaires.


De nombreux leviers peuvent être exploités pour obtenir le conformisme des individus. Deux exemples :

  • Le désir de reconnaissance. Chaque personne cherche à être appréciée et aimée. D’où l’adoption d’un comportement conforme aux attentes d’autrui.

    • GOMBROWICZ : « L'homme, au plus profond de son être, dépend de l'image de lui-même qui se forme dans l'âme d'autrui, même si c'est l'âme d'un crétin»


  • L’utilisation de l’intérêt personnel. On peut obtenir beaucoup d’un individu en lui laissant entrevoir plus de pouvoir ou plus d’argent. On peut même réorienter de manière drastique les habitudes de consommation en mettant en avant l’intérêt économique individuel. Par exemple le relèvement du coût des énergies carbonées se révèle bien plus efficace que la peur du dérèglement climatique pour faire basculer les citoyens vers l’achat de pompes à chaleur, de panneaux solaires et de véhicules électriques. De la même façon il apparaît clairement que les principales baisses du nombre de fumeurs correspondent aux phases de relèvement conséquent du prix du tabac. Il est également fascinant de constater que la préservation de l’intérêt personnel modèle la pensée des individus. Par exemple une personne aisée sera statistiquement plutôt classée à droite de l’échiquier politique car elle est en quête de sécurité des biens et des personnes, et de prospérité économique pour faire fructifier le capital. Une personne issue d’un milieu social plus modeste se tournera plus naturellement vers des partis de gauche privilégiant une politique de redistribution et une protection sociale étendue. Le rapport concret au monde crée des écarts dans la pensée.

    • BADIOU : « La conviction est aujourd’hui largement répandue que chacun ne suit que son intérêt»






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