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Sagesse du désir






Nous avons fait le constat, dans le post « Le désir : la parole est à l’accusation », d’un désir paré de tous les vices par certains. Mais biens d’autres considèrent que le désir est une force bénéfique, voire indispensable à la vie. La parole est donc maintenant à la défense pour construire une vraie sagesse du désir.



Le désir est puissance

  • SPINOZA: "Le désir est l'essence de l'homme"

  • ARISTOTE: "Le désir est l’unique force motrice "

  • HEGEL: "Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion "

De nombreux philosophes ont affirmé que la vie ne peut être dissociée du désir car ce dernier est une puissance, un élan vital, un moteur, une force qui pousse l’être humain à exister, à persévérer dans son être, à croître, et à produire de la joie. C’est l’énergie de l’être humain, ce qui le meut.


C’est grâce à cette force intérieure que l’homme est poussé à se reproduire, à produire, à se distinguer, à transformer le monde qui l’entoure, à adapter le réel, à le rendre meilleur. Sans elle pas de quête d’amour, de progrès, de gloire, … mais aussi pas de recherche de vérité, de justice et de beauté.


Le désir est une valeur intrinsèque de la nature humaine. Il est une qualité pour de nombreux philosophes. Une vie sans désir n’a pas de sens, et en tout cas pas de saveur. C’est lui qui produit du plaisir, de la joie et parfois du bonheur.


Nous sommes donc bien loin d’une vision négative du désir développée dans le post précédent. Et pourtant ces aspects néfastes du désir existent bel et bien, ils ne peuvent pas être ignorés.


Mais alors qui a raison ? Comment appréhender nos désirs, quelle sagesse adopter ?

Faut-il devenir un ascète en supprimant la plus grande partie de nos aspirations, faut-il simplement opérer un tri et hiérarchiser les désirs, ou existe-t-il d’autres solutions, d’autres visions ?


Laisser libre cours à nos désirs?


Une première attitude face au désir consiste à lui céder en tout. Cultivons l’esprit soixante-huitard. Jouissons sans entrave, profitons, ne nous interdisons rien. Prenons tout simplement et ne nous préoccupons pas des conséquences. D’où le développement d’une société de loisirs, la recherche incessante du divertissement, la dévalorisation de la valeur travail. Certains vont jusqu’à prôner l’instauration d’un revenu universel et la création d’un droit à la paresse.


Mais cette position purement hédoniste, dionysiaque, de recherche de plaisir tout en produisant le minimum d’efforts, fait-elle sens en réalité ? Non, et pour de multiples raisons. Par exemple le désir, comme nous l’avons vu dans le post précédent, est insatiable. Dès qu’un désir est comblé, un autre, … dix autres naissent instantanément.

  • RICOEUR: "Le bonheur est, en quelque sorte, ce qui met un point d'arrêt à la fuite en avant du désir"

La littérature nous apporte plusieurs illustrations du problème que cela pose.

Emma Bovary, héroïne d’un roman de Flaubert, est l’esclave de ses désirs. Sa vie sociale, sa vie amoureuse ne la satisfont pas. Son mari Charles, médecin de province, lui propose une existence banale qu’elle rejette. D’où la prise d’amants, des dépenses excessives pour s’acheter une respectabilité et tromper son désœuvrement, … L’ennui sanctionne immanquablement la satisfaction de chaque désir. Cette fuite en avant est jalonnée de déceptions amoureuses, de dettes toujours plus grandes, … conduisant à la dépression et au suicide. Le désir a tué Emma.

Il en est de même avec Don Juan chez Molière qui, en voulant aimer toutes les femmes, s’est condamné en n’en aimer aucune. Car aimer vraiment, ce n’est pas jouir d’autrui puis changer aussitôt de cible, c’est s’investir dans une relation, donc sacrifier une partie de sa liberté. Don Juan, lui aussi, mourra à la fin de la pièce.


Au-delà des exemples littéraires évoquons le mur qui se dresse devant l’humanité qui a cru que, au travers du progrès, la construction d’une société où la satisfaction d’un nombre toujours plus grand de désirs et la recherche du plaisir constituent le sens de l’histoire. Mais nous réalisons brusquement que la démesure nous mène au dérèglement climatique et à l’épuisement des ressources terrestres. Le modèle économique, social et politique actuel semble bel et bien condamné. D’où les multiples crises qui se développent, en particulier dans les pays occidentaux, car les hommes ne peuvent que très difficilement concevoir une diminution de leurs droits à désirer et à jouir. La décroissance leur est inconcevable. Le modèle des retraites par répartition est déficitaire, les paysans n’arrivent plus à produire autant qu’avant car l’eau manque, le « peak oil » est atteint, … et pourtant nous voulons continuer à partir à la retraite le plus tôt possible, à acheter nos produits de consommation au meilleur prix, à sillonner le monde en avion, … De la même façon que l’alcoolique ou le joueur sont esclaves de leurs addictions, l’homme est entièrement dépendant du désir et n’accepte pas sa décroissance.


Certains hommes croient que la liberté c’est faire tout ce qui leur plaît, c’est jouir sans entrave et en ignorant les limites. D’autres, plus lucides, admettent que la liberté de chacun s’arrête là où commence celle d’autrui. Mais un nouveau paramètre entre maintenant dans l’équation : il n’y a pas de liberté si la recherche du plaisir par la satisfaction des désirs ne tient pas également compte de l’écosystème terre. La liberté est entravée ou le sera sous peu par l’impossibilité pour la terre de régénérer les ressources consommées par les hommes.


Renoncer à nos désirs?


L’extrême opposé à la jouissance sans entrave, c’est la suppression du désir, c’est l’ascétisme. Seul l’assouvissement des besoins naturels et nécessaires est admis, et encore sous un contrôle strict : manger, boire, dormir. Le bouddhisme indien voit dans le désir la source de tous les maux et l’objectif des sages est de s’en délivrer (atteinte du nirvana).

Mais rappelons-nous la pyramide de Maslow. L’homme ne se réduit pas à sa part animale et à la simple satisfaction de ses besoins vitaux. Il se caractérise également par des besoins plus nobles de sécurité, de reconnaissance sociale, d’estime et de réalisation de soi.

L’ascétisme est donc incompatible avec la nature humaine, ce n’est pas une solution acceptable.


Maîtriser nos désirs?


Il s’agit de la principale solution proposée par la sagesse grecque antique.

L’idéal est d’atteindre l’état d’ataraxie c’est-à-dire l’absence de troubles, et en particulier l’absence de souffrance. Or le désir génère le manque de ce qu’on ne possède pas encore, et ce manque se transforme en souffrance. Conséquence : le désir doit être contrôlé pour limiter la souffrance.

Il s’agit de limiter, mais pas de supprimer. En effet :

  1. Les Grecs restent réalistes, ils sont bien conscients du fait que la suppression pure et simple des désirs est impossible car incompatible avec la nature humaine.

  2. D’autre part le désir est indissociable de la production de plaisir, de joie et de bonheur qui sont indispensables à la vie bonne que recherchent ardemment les Grecs.

Puisque le désir une fois contrôlé est bénéfique, la question se pose de savoir comment organiser ce contrôle. Plusieurs écoles se sont développées :


Les Épicuriens partent du principe que les désirs peuvent être classés en trois catégories :

  • Les besoins naturels et nécessaires qui doivent impérativement être satisfaits : boire, manger, dormir, s’abriter, se reproduire. Et il est vrai qu’un grand verre d’eau consommé pour étancher sa soif procure déjà une certaine quantité de plaisir.

  • Le besoins naturels et non nécessaires : On peut par exemple remplacer le verre d’eau précédent par un bon vin. Ce n’est pas nécessaire mais cela augmente le plaisir ressenti. Les Épicuriens nous disent qu’il est tout à fait acceptable de satisfaire ce type de désir, à la condition toutefois de ne pas sombrer dans l’excès qui se traduit immanquablement par un déplaisir postérieur (ex. la gueule de bois du lendemain).

  • Les besoins non naturels et non nécessaires. Pourquoi accumuler des millions, des résidences secondaires, des voitures, des montres et des sacs de luxe, des conquêtes amoureuses … ? A partir d’un certain niveau, l’accumulation ne produit quasiment plus de plaisir additionnel durable. On peut d’ailleurs ici faire un parallèle avec le paradoxe d’Easterlin. Cet économiste a montré que, à partir d’un certain seuil de richesse, la hausse du revenu d’un individu ne produit plus d’augmentation de la sensation de bien-être.

Les Épicuriens prônent donc une sorte d’économie du plaisir, la modération (phronésis) qui s’oppose à l’excès (ubris). Il s’agit, par la raison, de sélectionner les désirs qui procurent du plaisir sans pour autant produire des conséquences négatives plus tard. Où, à l’inverse, d’accepter une certaine dose de souffrance aujourd’hui, si cela doit se traduire par une vie meilleure dans le futur. Si nous transposons cette position Épicurienne à notre époque, nous constatons qu’elle continue à faire sens. Consommons par exemple ce qui est nécessaire à notre bien-être matériel, à notre vie sociale, à notre spiritualité, mais ne tombons pas dans l’excès qui de toute façon appelle l’excès et qui peut même hypothéquer la survie de l’humanité (dérèglement climatique, épuisement des ressources). Autre exemple : acceptons des réformes politiques quelque peu douloureuses aujourd’hui si elles permettent l’augmentation du bonheur collectif plus tard.


Les Stoïciens, quant à eux, appellent également à une limitation des désirs mais sous un angle différent. Il s’agit de ne garder, si possible, que ceux dont la réalisation dépend exclusivement de nous. Nous percevons immédiatement les bénéfices de cette conception : si nous nous donnons les moyens, nous pouvons immanquablement satisfaire ce type de désirs, donc éviter la souffrance associée à la non-réalisation de nos objectifs.


Ce faisant, il est clair que les stoïciens promeuvent la frugalité des désirs car bien peu dépendent exclusivement de nous.

  • EPICTÈTE: "La frugalité est le plus grand bien"

Le stoïcisme apparaît donc relativement incompatible avec notre mode de vie actuel puisque les produits que nous consommons sont, pour la plupart, fabriqués et transportés par tout un ensemble de personnes. Nous sommes bien loin de l’autosuffisance, quel que soit le domaine (alimentaire, déplacements, habitat, culture, …).


Il n’en reste pas moins que le stoïcisme continue à faire sens dans la mesure où il nous amène à demeurer mesuré dans nos désirs. Si nos aspirations s’avèrent déraisonnables nous nous condamnons à vivre dans la souffrance. Bien peu d’entre nous accèderont à la richesse, à la gloire, au succès, … Donc ne désirons pas l’impossible. Mieux vaut par conséquent restreindre nos aspirations que chercher à ajuster le monde à nos désirs.


Le stoïcisme nous apprend à accepter le monde tel qu’il est. Nous ne bénéficions pas tous des mêmes chances dans la vie, c’est un fait. Nos gènes, notre position sociale, les opportunités qui se présenteront, … relèvent bien souvent du hasard. Nous vivons dans un univers naturellement inégalitaire et injuste. Certains humains sont beaux, intelligents, bien nés, dotés d’un capital santé hors norme, … d’autres non. Devons-nous pour autant considérer que le monde est mal fait et céder aux émotions telles que le ressentiment, la colère ou la jalousie ? Non, vivons la vie qui nous est donnée du mieux possible, dans l’acceptation de notre destin, et ne nous plaignons pas, car les émotions négatives nous éloignent du bonheur (par exemple, si nous sommes affectés par la maladie, nous ne guérirons pas plus vite si nous nous apitoyons sur notre état, bien au contraire). En revanche recherchons systématiquement les affects positifs car ils génèrent de la puissance d’agir et une liberté plus grande.

  • EPICTÈTE: "Ne demande pas que les choses arrivent comme tu le désires, mais désire qu'elles arrivent comme elles arrivent et tu seras heureux "

De toute façon, la vie est tragique, nous sommes tous condamnés à subir notre condition de mortel un jour ou l’autre. Nous sommes un acteur parmi des milliards, et nous jouons notre rôle, que nous n’avons pas choisi, dans une immense pièce de théâtre. Dans une centaine d’année la totalité des protagonistes actuels auront même été remplacés par d’autres.

  • SHAKESPEARE: "La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien "

Alors, tant qu’il est temps, profitons du mieux possible de notre existence, jouissons des plaisirs que le hasard nous accorde mais sans nous y attacher. L’argent, l’amour, la gloire, le pouvoir, … sont des indifférents pour les stoïciens. Si nous en disposons, tant mieux, mais, si ce n’est pas le cas, n’en soyons pas affectés. D’ailleurs deux des Stoïciens les plus éminents ont vécu des conditions sociales diamétralement opposées : Épictète, célèbre pour son « manuel », était esclave, Marc Aurèle, très connu pour son ouvrage « Pensées pour moi-même », était empereur. En conclusion installons de la distance avec les éléments extérieurs qui ne dépendent pas de nous et concentrons-nous plutôt sur notre vie intérieure, sur nos représentations du monde, sur la façon dont nous pouvons retravailler nos désirs, nos peurs, nos opinions, nos croyances, nos jugements, … car nous avons la possibilité de les maîtriser et de les transformer.


Les Stoïciens ont été beaucoup trop loin dans la culture du détachement par rapport au monde extérieur. Par exemple ne pas être affecté par la disparition d’un proche, sous prétexte que la mort est naturelle, est au-dessus des forces des êtres sensibles que nous sommes. Le pouvoir de la raison a ses limites. Néanmoins le Stoïcisme reste un système philosophique dont de nombreux aspects continuent à faire sens, même au XXIème siècle. En particulier une part importante du bonheur ressenti dépend de la vision que nous portons sur le monde dans lequel nous évoluons.


Remplaçons le manque par la jouissance de ce que nous avons déjà


La sagesse grecque associait le désir au manque : l’être humain aspire à posséder quelque chose dont il ne dispose pas encore, donc il éprouve un sentiment de manque et par conséquent de la souffrance.

  • PLATON: "L’amour est désir et le désir est manque "

  • PLATON: "Ce qu'on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour "

On comprend tout de suite que cette conception du désir nous éloigne du bonheur. D’une part parce que nous ne pouvons pas être heureux tant que nos désirs ne sont pas satisfaits. Et d’autre part parce que, si finalement nous parvenons à les combler, alors notre joie s’avère être de courte durée et notre état de manque réapparaît car de nouveaux désirs naissent immédiatement.

Les exemples sont légion :

  • Ce jeune homme souffrait de ne pas parvenir à séduire cette charmante demoiselle qui hantait même ses nuits, aujourd’hui elle est enfin sa femme et il faut bien reconnaître que la passion amoureuse, telle que ressentie autrefois, a bel et bien disparu.

    • ARAGON : « Il n'y a pas d'amour heureux »

  • Un autre rêvait de trouver un emploi, sa situation de chômeur le minait intérieurement, il dispose aujourd’hui d’un CDI mais il ne supporte plus cette vie de labeur.

Il n’y aurait donc pas de couples et de travailleurs heureux. L’amour ne pourrait faire le bonheur que d’un célibataire. De la même façon le travail ne pourrait combler qu’un chômeur !


Et si nous changions de perspective. Si nous ne considérions pas le désir comme manque mais comme puissance, comme possibilité de jouir de ce que nous possédons déjà.


C’est la position adoptée par des philosophes plus récents tels que Spinoza.


Démontrons-le en reprenant les deux exemples précédents :

  • Il est vrai que l’amour naissant rime avec passion, exaltation et manque exacerbé. L’être désiré se voit paré de toutes les qualités. Nous sommes chez Éros, Dieu grec, symbole de l’amour passion. Mais, une fois la relation installée, la réalité reprend peu à peu le dessus, et l’idéalisation du partenaire s’estompe. Fort heureusement, dans de nombreux cas, Éros laisse place à Philia. Il s’agit là d’un amour lucide, fait de désir et de raison. Les défauts du partenaire sont connus mais acceptés. Le respect mutuel s’installe, la liberté de chacun est respectée. C’est un amour d’un type différent, non basé sur le manque mais plutôt sur la présence de l’autre qui génère de la joie. Il s’agit d’un amour profond qui peut durer toute une vie.

  • Fort heureusement des millions de personnes considèrent leur travail de façon positive. Il n’est pas systématiquement synonyme de contrainte, pénibilité, aliénation, soumission et course après l’argent qui manque. Il permet aussi de s’épanouir, de se réaliser. Donc le travail ne fait pas uniquement le bonheur de ceux qui n’en ont pas.


- SAINT AUGUSTIN: "Le bonheur c’est de continuer à désirer ce que l’on possède déjà "


Réorientons nos désirs


Nous vivons en société. Nous sommes formatés dès l’enfance pour en adopter les règles, la morale, les codes. Par conformisme et mimétisme nous adoptons le même idéal de vie et les mêmes désirs que les autres. Sous la pression du système éducatif, de nos parents, de nos communautés d’appartenance, … nous nous orientons, le plus souvent inconsciemment, dans telle ou telle direction, et nous renonçons à l’inverse à explorer telle autre qui pourtant nous attire. Pas conséquent nos choix de vie peuvent dépendre beaucoup plus d’autrui que de nous-mêmes.

C’est ainsi qu’au fil des années nous pouvons être amenés à nourrir le sentiment que notre vie ne nous correspond plus vraiment et que notre motivation à poursuivre dans la direction choisie décroît. Notre travail, nos relations nous ennuient ? Notre existence nous semble banale ? Un rien nous révolte ou nous indigne et la colère nous habite ? C’est le signe évident que nos désirs ne sont pas les bons car ils sont basés sur des affects de tristesse qui diminuent notre énergie et nous rendent passif.


Il s’agit alors de remplacer ces désirs par d’autres fondés sur des affects de joie de façon à retrouver une intensité de vie et une puissance d’action. Ne supprimons pas les désirs (ce qui est impossible étant donné notre nature humaine), mais déplaçons-en la finalité car on ne construit rien sur les affects négatifs.


Quelques exemples :

  • Certains renoncent à la vie confortable que leur procure leur position de cadre pour se tourner vers le métier manuel qui les a toujours attirés, devenir paysan, ou se consacrer à une activité artistique.

  • D’autres décident de couper définitivement les liens avec leur entourage toxique.

  • D’autres encore décident d’en finir avec leurs addictions (malbouffe, alcool, télévision ou jeux vidéo du matin au soir, flemme, …), addictions qui les détruisent peu à peu ou les enferment dans la passivité, le ressentiment, la colère et autres passions tristes. Ils se remettent au sport, adoptent un régime équilibré, arrêtent de fumer, apprennent à jouer du piano, se forment, s’investissent dans de nouvelles activités, font en sorte de rencontrer de nouvelles personnes, …


Ces changements nécessitent une connaissance de sa nature profonde, de façon à savoir reconnaître les choses et les personnes qui nous mettent en joie. Cette phase de connaissance de soi-même requiert de l’investissement, du temps. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la sagesse croît avec la maturité.

  • SOCRATE: "Connais-toi toi-même "

Ce principe de substitution de désirs par d’autres peut être utilisé à des fins éducatives ou professionnelles. Au lieu de pointer chez autrui les comportements inadéquats à coup de « Tu dois, tu ne dois pas », donc en s’appuyant sur la morale, il s’agit de susciter de nouveaux désirs, basés sur des affects positifs, qui viendront se substituer aux précédents et qui permettront de créer une nouvelle motivation et régénérer la puissance d’agir. Dans le monde de l’entreprise par exemple il est tout à fait possible de décupler la motivation d’un employé en lui proposant de prendre la responsabilité d’un projet innovant ou de changer de poste, ce qui permettra de casser la spirale de l’ennui provoqué par des années consacrées à l’exécution des mêmes tâches répétitives.


Le plaisir n'est pas que dans la satisfaction du désir, il est dans le désir lui-même


  • ROUSSEAU: "Malheur à celui qui n’a plus rien à désirer. Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère et l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux "

Ceci signifie que c’est le désir lui-même et non sa satisfaction qui génère le plus de plaisir. Et c’est vrai, jamais nous ne nous sentons plus vivants que lorsque nous sommes tendus par le désir.

C’est par exemple le cas dans le domaine de l’amour : un tsunami émotionnel s’empare des corps et des esprits, l’être aimé est idéalisé, l’imagination et la capacité de projection prennent le pouvoir, provoquant exaltation et euphorie. Si nous sentons que l’objectif est atteignable alors la souffrance et la sensation de manque s’effacent devant la joie de ressentir des troubles émotionnels intenses. Le plaisir ressenti durant cette période peut être supérieur à celui éprouvé lorsque le désir est satisfait.

Autre exemple, celui de l’acquisition des savoirs. Voici un domaine dans lequel l’objectif ne peut jamais être atteint car le champ de la connaissance est bien trop vaste pour être saisi par l’esprit humain. Et pourtant nous ressentons une joie intense lorsque nous apprenons de nouvelles choses. Le plaisir est dans le chemin, non dans l’omniscience. Montaigne le dit fort bien dans la citation suivante à propos de l’apprentissage philosophique.

  • MONTAIGNE: "Qui n’aime la chasse qu’en la prise, il ne lui appartient pas de se mêler à notre école "

On peut même se demander si les désirs les plus souhaitables ne sont pas ceux qui ne pourront jamais être entièrement satisfaits, des désirs qui nous maintiennent en tension toute une vie, des désirs liés à l’être et non pas à l’avoir. Il en est ainsi de l’amélioration de ses connaissances, de ses performances, de sa créativité, … Désirons quelque chose qui nous laissera éternellement insatisfait, quelque chose qui nous résiste.


Plus globalement l’homme ne peut pas vivre sans éprouver de désir. La meilleure preuve réside dans le fait que ceux qui ont tout, ceux qui pourraient se contenter de jouir de leurs biens, se fixent malgré tout de nouveaux défis. Sinon comment expliquer que même des multi milliardaires, des personnes qui peuvent tout obtenir d’un simple claquement de doigt, continuent à travailler, à se fixer de nouveaux défis, à s’agiter. Un plaisir obtenu rapidement n’est pas satisfaisant. Ce qui nous comble, c’est l’attente.

  • PASCAL: "Un roi sans divertissement est un homme plein de misère"

Celui qui n’a pas compris cela se noie dans le désœuvrement et sombre dans la dépression. La plus grande des pauvretés c’est de ne manquer de rien.


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