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Sommes-nous l'auteur de notre vie?







Introduction


HEGEL a écrit « L'homme n'est rien d'autre que la série de ses actes »


Il est vrai que l’essence d’un être humain s’incarne dans une longue succession de choix et d’actes, souvent basiques, mais parfois beaucoup plus structurants et engageants.


On dira par exemple : cet homme a toujours agi honnêtement et de façon intègre, celui-là a constamment saisi la moindre occasion pour exploiter son prochain, celui-ci a toujours aimé, entouré et éduqué ses enfants, celui-là les a négligés, celui-ci a veillé à s’élever vers plus de vérité et de justice, celui-là a privilégié égoïstement ses intérêts quitte à mentir et à tromper, celui-ci a toujours su entrainer et galvaniser en bousculant parfois l’ordre établi, celui-là s’est enfermé dans la passivité et la facilité.


Une vie d’homme étant la somme de ses actions, la question « Sommes-nous l’auteur de notre vie ? » revient donc à nous interroger sur la paternité et la responsabilité de nos actes. Si ces derniers émanent de notre personnalité profonde alors, oui, nous sommes auteur de notre vie. Mais si notre liberté d’action est entravée ou si nous sommes profondément et durablement déterminé, si notre conscience est formatée ou manipulée pour orienter nos choix dans telle ou telle direction alors non, nous ne sommes pas auteur de notre vie.


Il existe plusieurs types de liberté : la liberté d’action, la liberté de penser, la liberté d’expression, mais aussi la liberté d’être l’auteur de sa volonté.


La liberté d’action et la liberté d'expression présentent la particularité d’être extrêmement dépendantes de la nationalité d’un individu et du régime politique et économique en vigueur dans l’état dans lequel il vit.


La liberté de penser est tout à fait particulière car elle ne subit aucune entrave tant qu’il n’y a pas extériorisation de cette pensée.


La liberté d’être l’auteur de sa volonté est quant à elle beaucoup plus complexe et subtile car un être humain peut tout à fait avoir le sentiment d’être le maître absolu de lui-même et donc de réaliser des choix entièrement libres alors, qu’en réalité, ses décisions ne sont que la résultante d’une longue et complexe chaine de causes, de déterminismes biologiques et sociaux.


Dans ce post les libertés d’action, d’expression et de penser seront donc traitées beaucoup plus rapidement que la liberté d’être l’auteur de sa volonté.



La liberté d'action


Il est compliqué d’être l’auteur de sa vie si la capacité d’agir selon son bon vouloir s’avère impossible (prison, confinement) ou périlleuse (guerre, violence généralisée) ou trop encadrée (lois et règlementations abusives). C’est ici que le régime politique joue tout son rôle. Il veillera à accorder à chacun la plus grande liberté d’action possible.

  • MONTESQUIEU: "La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent "

Il n’est pas question de liberté totale car chacun doit bien sûr composer avec la liberté et la sécurité des autres. Par exemple la propriété privée doit être garantie et le risque de mise en péril de la vie d’autrui doit être limité (comme ce fut en cas en période COVID).

  • Anonyme: "La liberté des uns s’arrête là où commence la santé des autres"

  • JANKELEVITCH: "Si tout est permis, rien n’est permis "

Mais, d’une part, tout ce qui n’est pas interdit par la loi en matière de liberté d’action doit rester possible et, d’autre part, la loi doit être sans cesse retravaillée pour l’expurger de règles qui ne servent pas ou qui ne servent plus le bien commun. Il n’est pas aisé de construire une bonne loi car il faut assurer, sur le court, moyen et long terme, l’équilibre entre les aspirations et les intérêts de millions de citoyens différents.

  • BISMARCK: "La politique est l’art des possibles "

Mais il est évident que cet équilibre sera plus facile à construire dans un état démocratique, où le débat est rendu possible, que dans un pays totalitaire. C’est la raison pour laquelle il est bien plus aisé, sur ce point, d’être l’auteur de sa vie en occident que partout ailleurs.

  • LOCKE: "Là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de liberté "


La liberté d'expression


Ce cas est très similaire au précédent. Il n’y a pas de liberté d’expression absolue comme il n’y a pas de liberté d’action totale. Les démocraties par exemple interdisent les propos faisant l’apologie de la violence et de la haine. Mais là encore l’occident démocratique garantit des droits très larges en termes d’expression et, de ce fait, augmente de façon drastique les possibilités d’être l’auteur de sa vie.

  • MONTESQUIEU: "Si dans l’intérieur d’un État vous n’entendez le bruit d’aucun conflit, vous pouvez être sûr que la liberté n’y est pas "

La liberté de penser


Même dans les pires conditions l’être humain peut penser ce qu’il veut et nourrir les croyances les moins conformistes à la condition expresse de ne pas les extérioriser. Que pensent les peuples chinois, russes ou coréens du nord ? Peut-être soutiennent-ils leur régime politique en toute conscience (on ne doit jamais conjecturer de la pensée des autres à l’aune de son propre système de valeurs), mais peut-être pas.

Mais que vaut une pensée enfouie et qui ne se traduit pas en acte ? Comme évoqué en tout début de ce post « L'homme n'est rien d'autre que la série de ses actes ». Donc une pensée qui n’aura jamais d’impact sur le réel ne sert à rien et ne permettra donc pas de devenir auteur de sa vie.

  • BERGSON: "Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d'action "

  • MICHAUX: "Si un contemplatif se jette à l'eau, il n'essaiera pas de nager, il essaiera d'abord de comprendre l'eau. Et il se noiera "

Tout le problème bien sûr réside dans le fait que l’absence de liberté d’action vient ici limiter et souvent empêcher la possibilité de traduire une pensée en acte. Les arrestations et emprisonnements de tous ceux qui osent exprimer leurs opinions permettent aux états totalitaires de maintenir la docilité des populations.


La liberté d'être l'auteur de sa volonté


Nous avons parfois le sentiment d’être parfaitement libres dans nos désirs et dans nos choix. Nous pensons exercer notre libre arbitre encore appelé liberté d’indifférence.

  • CONCHE: "Le libre arbitre c’est le pouvoir de se déterminer soi-même sans être déterminé par rien"

Comment prouver que nous disposons de ce type de liberté ? Par l’acte gratuit pour lequel il n’est pas possible de trouver une chaine causale qui le précède. Un des exemples les plus célèbres de ce type d’actes se trouve dans l’ouvrage « Les caves du Vatican » d’André Gide. Le personnage Lafcadio Wluiki, pour se prouver qu’il dispose d’un libre arbitre, décide de précipiter hors du train qui le mène à Brindisi, un autre voyageur nommé Amédée qui vient de s’asseoir dans le même compartiment, qu’il ne connaît absolument pas et pour lequel il ne nourrit aucune animosité. Acte bien sûr absurde. D’autant plus que Lafcadio n’atteint pas l’objectif qu’il s’est fixé en commettant ce crime puisque son acte est bel et bien la conséquence d’une cause : la volonté de se prouver qu’il n’est dépendant d’aucune cause !


Pour la très grande majorité des philosophes le libre arbitre absolu n’existe pas.


Alors comment expliquer que les hommes pensent le plus souvent qu’ils choisissent et agissent indépendamment de toute cause. Spinoza nous explique que c’est le fait de ne pas avoir conscience des déterminismes qui nous affectent qui nous donne l’illusion d’être libre.

  • SPINOZA: "Telle est la liberté humaine que les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent"

Le post « Par quoi sommes-nous déterminés ? » traitait du conditionnement de l’homme par la nature et par la société. Et effectivement il n’est pas un philosophe ayant traité le sujet de la liberté qui n’ait admis un certain niveau de déterminisme. Même l’existentialiste Jean-Paul Sartre, auteur de la fameuse citation « l’existence précède l’essence » pour signifier que l’homme se construit lui-même tout au long de sa vie et n’est pas le simple produit d’un héritage biologique ou social, reconnaissait que les déterminismes existent.


Oui, nous sommes dépendants de notre nature et de ce que la société a fait de nous.

  • PASCAL nous dit: "L’homme n’est pas un empire dans un empire"

En effet l'homme n’échappe pas à l’ordre du monde, il n’est pas un Dieu indépendant de toute antériorité.


Prenons l’exemple d’un lycéen à l’heure de l’expression de ses vœux sur la plateforme Parcoursup. Voici un choix de vie particulièrement structurant. Va-t-il réaliser une sélection entièrement libre ? Supposons qu’il s’agisse d’un élève particulièrement brillant et que, quelles que soient les écoles envisagées, ses candidatures seront systématiquement acceptées. Il est pourtant probable que ses choix seront influencés par de multiples facteurs: ce peut être le dernier palmarès des écoles sorti dans la presse, la pression de ses parents qui seraient si fiers de voir leur progéniture intégrer l’école la plus prestigieuse entre toutes, ou peut-être tout simplement le fait de vouloir retarder l’heure du choix de deux années supplémentaires en sélectionnant une prépa générale qui ne le contraint pas pour l’instant (car faire un choix est synonyme de réduction de nouveaux choix dans le futur).


Puisque les déterminismes existent bel est bien, tout le problème est de savoir si nous pouvons en limiter les effets. Ceci pour faire en sorte que nos choix de vie et nos actions soient le plus possible l’expression de notre vraie volonté. Peut-être pouvons-nous œuvrer pour qu’une plus grande partie de la partition de notre existence soit écrite par nous.


Quelles solutions?


Prendre conscience de nos déterminismes

La plupart des êtres humains ont tendance à rejeter la responsabilité des actes jugés mauvais soit sur une nature originelle (« Je n’y peux rien, c’est ma nature », « J’ai ressenti une pulsion irrépressible, c’était plus fort que moi ») ou sur une cause extérieure (« c’est lié à un traumatisme subi dans le passé », « ce n’est pas ma faute, je n’ai pas eu de chance dans la vie »). On reconnaît là les déterminismes naturels ou sociaux qui servent souvent d’alibi pour ne pas assumer la responsabilité des actes commis.


En cela l’homme fait usage de ce que Sartre appelle la mauvaise foi. Il s’auto-essentialise, il s’affirme comme le produit de déterminismes qui lui permettent de ne pas ressentir l’angoisse de la liberté. Se conformer à cette nature ou contexte social hérités est une sorte de lâcheté. Pour illustrer cela Sartre donne l’exemple d’un garçon de café qui, en se fondant dans son rôle et en adoptant les attitudes qu’on attend de lui, ne fait que se masquer sa propre liberté. Ne sommes-nous pas tous des garçons de café qui adoptent des comportements standardisés et confortables car la liberté donne le vertige et fait peur ?

  • ONFRAY: "La liberté inquiète l'individu qui se retrouve face à lui-même, dans le doute, devant la possibilité de choisir, donc d'expérimenter le poids de la responsabilité "

Il ne s’agit donc pas de réfuter le fait que nous avons subi depuis l’enfance de multiples influences, il s’agit de dépasser ces déterminismes par notre liberté d’homme. Car nous conservons toujours le pouvoir d’agir sur nous-même. En cela nous nous distinguons de l’animal qui lui n’a pas d’autre choix que de rester gouverné par son instinct.

  • SARTRE: "L’important n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce qu'on fait de ce qu'on a fait de nous "

  • COUSINS: "Le libre arbitre et les déterminismes sont comme un jeu de cartes. Le jeu qui nous échoit correspond au déterminisme. Ce que vous en faites représente le libre arbitre "

La première étape vers la liberté consiste donc à prendre conscience de ces déterminismes par la réflexion sur le monde et sur soi-même. Car on ne combat efficacement que ce que l’on connaît.


Prenons un exemple de déterminisme profondément ancré dans l’inconscient collectif français d’une part et celui des anglo-saxons d’autre part.

Très souvent, en France, pays très imprégné par le christianisme, la réussite et la richesse sont considérées suspectes.


JESUS n’a-t-il pas dit : « Il sera aussi difficile à un riche d’entrer au royaume qu’à un chameau de passer par le chat d’une aiguille » et « Les derniers seront premiers et les premiers seront derniers »


Le traitement des inégalités est donc plutôt dirigiste dans notre pays. Le modèle social est basé sur un usage important de l’impôt et la redistribution pilotée des richesses.

  • VOLTAIRE: "L'art de gouverner consiste à prendre le plus d'argent possible à une catégorie de citoyens afin de le donner à une autre "

Chez les Anglos saxons le protestantisme est beaucoup plus répandu. Or cette religion considère que la richesse est bonne car elle est signe de mérite, elle peut être réinvestie, elle permet d’augmenter le patrimoine collectif.

Le traitement des inégalités est donc différent car on compte davantage sur l’accumulation des biens et l’effet de ruissellement pour organiser la redistribution.

Cette façon de penser existait déjà chez certains philosophes dans l’antiquité.

  • ARISTOTE: "Pour être généreux il faut être riche "

Il ne s’agit pas ici de promouvoir l’un ou l’autre de ces deux modèles. Le but est plutôt de montrer que la compréhension des lois qui régissent nos affects est indispensable pour progresser vers plus de liberté de décision et donc vers une augmentation de notre capacité à être acteur de notre vie.


Réduire le champ du hasard
  • VOLTAIRE: "Ce que nous appelons hasard n'est et ne peut être que la cause ignorée d'un effet connu "

Lorsque nous ne comprenons pas les origines d’un évènement il est vrai que nous évoquons le hasard. Ne dit-on pas « c’est arrivé par hasard » ? Mais il n’y a pas de hasard, il n’y a que des causes inconnues de nous. Si nous étions omniscients, si nous avions la capacité de maîtriser l’entièreté de la chaine de causalité, alors nous saurions que rien n’arrive sans raison.


D’où la question : pouvons-nous réduire le champ du hasard pour augmenter notre capacité à maîtriser les évènements, pour augmenter nos chances de devenir auteurs de nos vies?


Paul et Robin sont issus du même quartier, leurs parents ne roulaient pas sur l’or et leur enfance n’a pas été facile.

Le hasard a fait que Paul a rencontré la femme de sa vie, trouvé un emploi en moins de deux mois, et réalisé 20% de gain en bourse cette année. Rien de tel n’est arrivé à Robin qui se morfond au fond de son canapé. Mais il faut savoir que Paul a su prendre son courage à deux mains pour aborder cette fille magnifique qu’il croisait tous les jours dans le bus, il a écumé toutes les entreprises de la région et a envoyé une centaine de CVs, il consacre une heure par jour au suivi de son petit portefeuille après s’être formé sur internet aux techniques boursières .

Robin de de son côté s’est forgé une philosophie en laquelle il croit fermement : « ce qui doit arriver arrivera ». Il s’est inscrit chez Pole emploi et attend qu’on le rappelle. Il joue au loto une fois par semaine.

Ceux qui veulent une jolie illustration en chanson de ce sujet se réfèreront au titre «Dommage» de Bigflo & Oli.


En agissant, on ajoute des causes construites consciemment à une chaine causale existante et non maîtrisée, une nouvelle série causale en résulte, d’où des conséquences différentes. En provoquant la chance on amenuise le hasard et on devient, plus encore, l’auteur de sa vie.

  • JEFFERSON: "Je crois beaucoup en la chance et je constate que plus je travaille, plus la chance me sourit"

Conclusion


La liberté n’est donc pas absolue puisque nous ne choisissons pas notre nature biologique et la société dans laquelle nous naissons.

  • FOUCAULT: "Il n'y a pas une seule culture au monde où il soit permis de tout faire. Et on sait bien depuis longtemps que l'homme ne commence pas avec la liberté mais avec la limite et la ligne de l'infranchissable"

Mais l’homme est-il condamné à rester enfermé dans ces déterminismes initiaux comme le pensait

  • MARX: "Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience "

Non, l’homme conserve des marges de manœuvre immenses pour exprimer sa liberté et sa capacité à diriger son existence. Au-delà des déterminismes hérités l’homme peut se déterminer lui-même.

Les lois qui régissent le monde physique, mises en évidence par les sciences dures, sont incontournables. Celles qui pèsent sur l’humain, étudiées par la sociologie, ne sont pas exactes. Le degré de déterminisme est moindre.

  • SENEQUE: "En chaque âme habite un dieu "

Le problème n’est en réalité pas de savoir si nous sommes libres de façon absolue mais de travailler pour le devenir davantage. Apprenons à nous connaître, à dépasser nos déterminismes, à construire notre être profond.

Puis faisons des choix qui nous ressemblent, agissons, soyons auteur et responsable de de notre vie.

  • BERGSON: "Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment "

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